Education Parents/Enfants

L’alimentation et le rapport au corps chez les enfants et les adolescents

Les repas, l’alimentation, la puberté, le rapport au corps… autant de sujet importants, et parfois délicats, dans l’éducation et dans les rapports parents/enfants. Pour en parler, j’ai demandé à mon amie Ariane Grumbach, diététicienne-nutritionniste, de bien vouloir répondre à mes questions. J’avais fait son portrait il y a quelques années sur En Aparté. Un grand merci à elle pour le temps qu’elle a bien voulu me consacrer !

Quelles sont les principales bonnes habitudes alimentaires qu’un parent devrait essayer de transmettre à ses enfants ? Par exemple, doit-on insister pour que son enfant / ado prenne un petit déjeuner ?

Chaque personne est unique et chaque enfant est singulier. Pour la majorité d’entre eux, le petit déjeuner est très important. Il fournit le carburant pour le corps et le cerveau. Il permet d’être attentif et concentré le matin. Si un enfant le saute, il risque d’avoir très faim vers 10h30-11h. Mais il existe aussi une minorité d’enfants qui n’a absolument pas faim le matin. Il ne faut pas les forcer.

Le cas le plus compliqué est l’enfant ou l’adolescent qui a besoin d’un certain temps pour se réveiller, se mettre en route et qui saute son petit déjeuner par manque de temps ou manque d’appétit au réveil. Pour ceux-là, je conseille d’emporter quelque chose à manger (une tartine, un fruit, une compote, 2-3 biscuits) vers 9h-9h30 ou sur le chemin de l’école.

Les adolescents ont tendance à décaler leur heure de lever au maximum pour gagner un peu de temps de sommeil, souvent parce qu’ils se couchent tard et donc ils ne prennent pas le temps du petit déjeuner. Là encore, le mieux est d’avoir un petit déjeuner à emporter.

Il me semble que le comportement des parents est fondamental : si ces derniers prennent le temps le matin pour un vrai petit déjeuner, cela  constituera un bon exemple, meilleur que s’ils avalent vaguement quelque chose au moment de partir. Il est important de prendre le temps de se poser et d’adapter ce que l’on mange à sa faim pour tenir jusqu’au déjeuner.

De façon générale, je suis pour une éducation de base, avec un cadre, mais souple, pas rigide. C’est la même chose pour le sommeil. Il faut poser un cadre à ses enfants mais savoir également être souple à certaines occasions.

Doit-on inciter ses enfants à être curieux en terme de nourriture, voire insister pour qu’ils mangent de tout  ?

Là aussi, l’exemple des parents est primordial. Si l’enfant voit que son parent prend plaisir à manger de tout et varié, il aura tendance à faire pareil. Il est important de préserver leur curiosité. En revanche, il y a une régulation naturelle de l’appétit et il est important de ne pas forcer un enfant à finir lorsqu’il n’a plus faim.

Les parents doivent proposer cette diversité, cette variété. Je leur conseille d’essayer de s’organiser pour ne pas proposer que des pâtes ou des plats préparés à leurs enfants. Quand on n’a que peu de temps, on peut aussi les associer à la préparation des repas, les prendre comme « commis » ou, lorsqu’ils sont plus grands, leur proposer de cuisiner certains repas à tour de rôle. On peut également utiliser des surgelés, congeler des plats copieux qui pourront servir les jours où l’on manque vraiment de temps, etc.

Je pense qu’il est important, lorsque les enfants sont petits, de leur proposer de façon répétée les aliments pour essayer de leur faire aimer. Ne pas hésiter à refaire goûter un aliment qu’ils n’ont pas apprécié la première fois.  Les études sur le goût montrent qu’il faut goûter un aliment 7-8 fois pour avoir une vraie appréciation !

Autre conseil : leur apprendre à manger en ne faisant rien d’autre (ni télévision, ni autre écran). Une part d’attention assez importante est nécessaire pour atteindre un niveau de satisfaction et de satiété. Le risque, sinon, est que l’enfant se resserve machinalement, au-delà de ses besoins.

Il est également très important de ne pas faire du repas un moment de stress. Pour des raisons de simplicité et pour ne pas se casser la tête à faire plusieurs menus, je conseille de préparer le même repas pour tout le monde. Si un enfant aime moins certaines choses, il se rattrapera sur les autres aliments.

Le repas doit aussi être autant que possible un moment tranquille, plaisant, de discussion et non de conflits, de disputes ou de cris.

Est-ce important de manger de la viande ? A quelle fréquence est-il recommandé d’en manger ? Un enfant peut-il s’en passer ?

Les enfants ont besoin d’un apport de protéines que l’on trouve dans les viandes, poissons, laitages, oeufs. Cela n’est pas recommandé de ne manger aucun de ses aliments. Mais certains enfants végétariens se portent bien (les végétariens mangent œufs et laitages).

Si à la cantine, votre enfant mange de la viande, il n’est pas indispensable d’en proposer le soir. On peut servir des œufs, du jambon mais aussi un repas à base de légumes et féculents.

A chacun de choisir sa quantité et sa répartition.

Que faire si mon enfant a tendance à grignoter hors des repas ?

On entend beaucoup dire qu’à tout âge, il vaut mieux éviter de trop grignoter. C’est plus compliqué que cela ! D’abord, un enfant a besoin de 4 repas par jour. Le goûter est tout à fait normal. Mais certains enfants, en général parce qu’ils ont très peu mangé à la cantine, ont tendance à se jeter sur un goûter très copieux. Il faut les inviter à faire des efforts pour manger à la cantine au moins la viande ou le poisson et cadrer la quantité du goûter pour qu’ils ne se coupent pas l’appétit pour le dîner.

Quant à l’enfant qui grignote de façon répétée, il faut en parler tranquillement, avec bienveillance, avec lui, pour essayer de comprendre ce qui se passe. Pourquoi grignote-t-il ? Pour se réconforter, parce qu’il est triste, seul, angoissé, ou par ennui ? En général, cela signifie qu’émotionnellement, quelque chose ne va pas. Ou alors est-ce pour accéder à des choses interdites à la maison et manger en cachette des bonbons, des gâteaux, etc. ? On peut utiliser des petits livres et des outils (par exemple, la pizza des émotions) pour l’aider à décrypter ses émotions et à formuler ses inquiétudes. Il ne s’agit pas de culpabiliser, de gronder, mais de comprendre la cause pour aider l’enfant à arrêter ses grignotages.

Lorsque l’adolescence arrive, surtout pour les jeunes filles, comment les parents peuvent-ils aider leurs enfants à accepter leur nouveau corps ? Quelles phrases sont à éviter et quelles attitudes sont à encourager ? J’ai lu dans un article qu’entre 13 et 16 ans, une fille prend en moyenne 6 kilos de graisse qui se répartissent plus ou moins harmonieusement. On ne le sait pas assez, me semble-t-il. Est-ce que l’on ne devrait pas davantage informer les parents et les ados de ces transformations pour dédramatiser ce changement et éviter d’éventuelles maladresses ?

L’insatisfaction corporelle est la norme et elle commence tôt ! Accepter son corps est un chantier gigantesque !

Cela se prépare dès l’enfance. Si on a valorisé le corps de l’enfant quel qu’il soit, si on a expliqué qu’il existe des corps différents, si soi-même on est bien avec son corps, si on ne fait pas de remarques déplacées quand on voit un corps différent, cela prépare le terrain pour une bonne acceptation.  En revanche, si le parent lui-même est mal dans sa peau, s’il se pèse tous les jours, s’il a des complexes, cela risque davantage de créer des relations compliquées chez l’enfant ou l’adolescent avec son corps. Cela peut engendrer soit un rejet de son corps, soit une obsession à se conformer aux normes de minceur, soit même un choix délibéré de grossir à l’adolescence pour se rebeller contre ce modèle.

De même qu’il y a des personnes petites ou grandes, brunes ou blondes, il y a des silhouettes de toutes les formes. Cette diversité est normale. Tout le monde n’est pas fait pour être « une grande asperge ».  Il est très important de parler et d’expliquer la diversité des corps. On peut faire une analogie avec les aliments qui eux aussi sont tous différents. Et de ne pas focaliser sur les standards de la minceur.

Il est également important d’expliquer les changements qui se passent à l’adolescence (poitrine, hanches, règles…) et de dire que ces transformations sont normales. Cela va généralement de pair avec une communication plus globale, ouverte au sein de la famille. Dire aussi que c’est normal que ces changements fassent peur, que c’est une étape de la vie, parfois compliquée à vivre sur le moment.

Certaines jeunes filles ont effectivement tendance à s’élargir un peu avant de grandir. Rien d’inquiétant à cela. C’est un passage, une étape.

Pour résumer, deux conseils : anticiper et dédramatiser.

Comment aider les ados à avoir une alimentation équilibrée alors qu’ils prennent de plus en plus de repas en autonomie et que l’on imagine que cela n’est pas toujours très sain ?

L’argument santé marche rarement surtout chez les ados et ne constitue pas une motivation suffisante pour avoir une alimentation saine et équilibrée. Evoquer les conséquences que peuvent avoir une alimentation trop grasse sur la peau, les cheveux peut avoir plus d’impact.

Et puis, il ne faut pas trop s’inquiéter. L’adolescent a aussi besoin d’autonomie alimentaire, c’est normal qu’il mange des kebabs, des burgers, des pizzas, du moment que ce n’est pas à tous les repas. Il ne faut pas confondre l’occasionnel et le régulier. Ce qui compte, c’est l’équilibre dans la durée.Pour les repas qu’il prend à la maison, on va continuer à proposer de la variété et de la diversité.

S’il a acquis des bonnes bases, il va les garder et reviendra de lui-même à une alimentation plus équilibrée.

Et pourquoi pas tenter une expérience : ne lui faire manger que des pizzas. Il est probable qu’assez vite, il hurle pour avoir une salade 😉

Par rapport à l’activité physique, quelle est la bonne attitude à adopter ? (entre l’ado qui abandonne progressivement ses activités sportives et l’autre qui aurait tendance à en faire trop, voire des activités pas adaptées à sa croissance exemple : musculation trop tôt pour un garçon)

On peut essayer d’aider l’adolescent à ne pas être dans quelque chose d’impulsif. On peut lui dire « tu as déjà beaucoup investi dans telle activité, prends le temps de réfléchir avant de l’arrêter, continue la encore un peu pour être sûr de ton choix ».  En revanche, qu’il change de goût, d’activité, c’est tout à fait possible.

L’adolescence peut ainsi  être l’occasion de découvrir quelque chose de nouveau, mais dans tous les cas, il est important de continuer de bouger pour préserver un bien-être corporel, être dans le ressenti du corps et pas seulement son aspect visuel. Cela peut être la natation, le vélo, la marche, la danse…

Et pour les garçons qui voudraient faire de la musculation, leur conseiller de ne pas en faire avec excès. Trop d’activité physique bloque le développement hormonal, la puberté.

Comment rassurer un ado qui n’aime pas son corps ? Quels symptômes / quelles attitudes devraient inciter des parents à lui proposer d’aller voir un professionnel ? Comment faire comprendre à sa fille ado que faire un régime serait une absurdité ?

Tout d’abord, il est important d’aider une jeune fille dont le corps se transforme à prendre du recul par rapport au changement de sa silhouette. Si sa poitrine se développe, si ses hanches et ses cuisses s’arrondissent, c’est pour devenir une femme, c’est pour permettre ultérieurement la fécondité. Ce sont des ressources pour pouvoir plus tard avoir des enfants. Lui dire aussi qu’il est important d’accepter sa silhouette telle qu’elle est, de la même façon qu’on accepte sa taille, car on ne peut pas la maîtriser.

Ensuite, l’observer et si besoin lui poser des questions si elle semble préoccupée ou s’arrondit beaucoup : mange-t-elle normalement ou trop ? Respecte-t-elle sa faim ? Si elle a très faim, arrive-t-elle à la réguler ? Et est-ce vraiment de la faim ou autre chose ?

En revanche, ne pas s’inquiéter si entre 13 et 18 ans, les adolescents mangent beaucoup de féculents, c’est normal !

Concernant les régimes, il faut leur expliquer l’engrenage automatique. La privation entraîne inévitablement le craquage. Plus on se prive d’un aliment, plus on en a envie. Il y a toujours un moment où l’on craque et où l’on se jette sur la nourriture et donc on reprend du poids, voire davantage qu’avant et cela devient une spirale infernale. Cette vidéo explique bien ce mécanisme.

Les régimes sont souvent liés à un problème de confiance en soi. Si l’adolescent n’a pas confiance en lui, s’il a du mal à se sentir bien dans sa peau, il aura tendance à croire qu’en se conformant aux standards de minceur, à ce qu’il estime être ce qui est bien, il rentrera dans le groupe. Mais c’est artificiel, cela ne marche pas.

Il est important en tant que parent de valoriser ses enfants, à leur apprendre à avoir confiance en eux et à ne pas projeter ses fantasmes de perfection sur eux.

Si un enfant ou un adolescent prend ou perd beaucoup de poids en peu de temps, ce n’est pas normal. Il faut alors s’en préoccuper et lui demander s’il ressent le besoin d’en parler à quelqu’un, toujours sans le culpabiliser.

Les ados ont régulièrement des fringales (de sucré ou de salé), notamment en dehors des repas ou tard le soir. Comment réagir en tant que parent ?

Déjà les inciter à manger suffisamment durant les repas, notamment les féculents (pain, riz, pâtes, pommes de terre…).

Les fringales sont souvent liées au fait qu’ils ne mangent pas suffisamment à midi, à la cantine. Les inviter à se poser pour manger un gâteau ou deux, une banane… au goûter, mais ne pas les laisser emporter tout le paquet de biscuits dans leur chambre.

En tant que parent, on peut veiller également à s’organiser pour ne pas dîner trop tard car sinon ils auront tendance à grignoter avant le dîner.

L’adolescence c’est aussi l’âge où l’on voit progressivement ses enfants arrêter certains aliments associés à l’enfance (lait, biscuits…) pour se tourner vers d’autres davantage associés au monde de l’adulte (café, alcool…). Quels conseils peut-on leur donner ?

Un adolescent a besoin d’expérimenter, de prendre des risques. Cela est également vrai dans  l’alimentation (alcool notamment).

Les parents doivent les sensibiliser aux dangers de l’alcool. Il y a une éducation à faire pour leur éviter les cuites à l’anglaise (binge drinking). Pour commencer, on peut leur apprendre à boire un peu d’alcool en famille, dans le cadre d’une consommation conviviale et raisonnable et leur montrer les effets de l’alcool pour éviter autant que possible les excès.

De même pour le café ou le coca, il est possible de leur montrer les conséquences : plus de fébrilité, plus de difficultés à s’endormir.

J’espère que cet entretien vous aura apporter des éléments d’information et de réflexion sur ces sujets. Comme nous le propose Ariane, soyons attentifs, sans dramatiser et essayons de leur transmettre le goût des bonnes choses et de les accompagner à se sentir bien dans leurs corps. Je vous invite à la retrouver sur son blog, L’art de manger ou sur son site professionnel. Elle a également écrit un livre « La gourmandise ne fait pas grossir » où elle nous invite à (re)trouver le plaisir de manger sans culpabilité.

 

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