Reprise de la rubrique Métier avec Laurent, hôtelier.
Je suis Laurent depuis un petit moment sur Twitter et j’apprécie sa plume sur son blog, des fraises et de la tendresse. Régulièrement, il évoque son activité professionnelle, le plus souvent à travers des petites anecdotes amusantes ou poétiques. J’ai eu envie d’en savoir un peu plus sur lui et sur la façon dont il concevait son métier. Gentiment, il a accepté de répondre à mes questions.
Comment es-tu devenu hôtelier ? (j’ai l’impression que ton parcours est une longue histoire…)
C’est un doux euphémisme. Mais je vais résumer. Je suis « monté à Paris » pour faire du théâtre. J’ai fait du théâtre et j’ai vécu des moments fabuleusement enrichissants. De la création d’une compagnie théâtrale professionnelle à la mise en scène, du parcours semés d’embûches et d’illusions à l’organisation d’une tournée. Modestement et toutes proportions gardées, j’ai vécu ce rêve pendant 8 ou 9 ans environ. C’est souvent les rencontres qui m’ont fait bifurquer. Les rencontres et les accidents de la vie. J’ai eu ensuite la chance de devenir traducteur littéraire grâce à une amie qui m’a formé. J’ai traduit une douzaine de romans sentimentaux américains. Pour la collection « Aventures et Passion » (tout un programme) chez J’ai Lu. Sous un pseudonyme féminin (une demande de mon éditrice). C’était le métier qui se rapprochait le plus de ce que j’aime, l’écriture. Pendant ma période théâtreuse, j’avais ce fond de marmite qu’est l’hôtellerie. J’ai commencé alors que je ne connaissais rien au métier. J’ai pris un annuaire et choisi quelques hôtels 3 et 4 étoiles de Paris. J’ai envoyé mon CV et j’ai commencé dans des hôtels à droite et à gauche. Comme réceptionniste de nuit, puis de jour. Et puis avec les années, j’ai fini par prendre ce job au sérieux. Et à y mettre du cœur. Tant qu’à passer la moitié de sa vie chez un employeur, quel qu’il soit, autant y aller avec un peu de bonne volonté et le sourire. J’ai dit que j’allais résumer ? C’est loupé.
Qu’est-ce que tu aimes dans ton métier ? Et qu’est-ce qui est le plus pesant ?
Ce que je préfère, c’est le contact avec les gens. J’ai un rapport assez maternant avec la clientèle. Il m’arrive d’avoir des discussions étonnantes. Quel que soit le métier ou le domaine que j’approche, l’unique facteur qui compte à mes yeux, c’est l’humain. J’ai une vision un peu bisounours ok et je suis souvent perdu dans mes petits problèmes du quotidien ou bien j’ai tendance à me laisser déborder par l’administratif… En fait j’ai juste besoin de m’accrocher à un sourire, un regard sincère et je me ressaisis. Le plus pesant ? L’administratif, justement.
Selon toi, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce métier ?
Le sens du service, de l’accueil. Et la discrétion. Quand une personne se présente à l’accueil et souhaite rejoindre Mr Truc dans sa chambre, il faut toujours avoir à l’esprit que Mr Truc est peut-être en compagnie de son amant. Ou de sa maîtresse. Ça fait très cliché mais ça arrive. La chaîne pour laquelle je travaille met souvent l’accent sur l’empathie. J’ai un peu en horreur la culture d’entreprise mais j’avoue qu’elle a raison. L’empathie. D’abord et avant tout, se mettre à la place du client. Qui a passé une sale journée, s’est fait promener par un taxi malhonnête, ou pire, s’est fait voler par des pickpockets ou mille autres joyeusetés. Eh bien, il arrive souvent que le lieu pour se délester de ce fardeau, c’est la réception d’un hôtel. Anticiper cela et se mettre à la place de l’autre peut désamorcer une arrivée « musclée ».
Quelles valeurs associes-tu au travail, à ton métier ? Cela a-t-il évolué au fil des années ?
J’ai cessé d’attendre tout de mon job, de mon métier. Je suis devenu beaucoup plus pragmatique qu’avant. Je dis souvent que j’échange du temps contre de l’argent, mes talents contre un modeste salaire. J’ai le sens du travail bien fait et c’est hélas souvent en contradiction avec la logique productiviste et rentable des grands groupes comme celui pour lequel je travaille. On te biberonne avec la croissance par-ci la croissance par-là la croissance tout le temps. Je ne suis ni économiste ni spécialiste mais la croissance ad vitam eternam telle qu’elle est dictée, exigée, est un non sens. Tu connais, toi, un arbre, une plante, un organisme qui croît à l’infini ?
Pourrais-tu partager quelques anecdotes marquantes ?
Ça, j’en ai plein mon panier. Juste une, tiens. Je travaillais dans un boutique hôtel, 4 étoiles. On pratiquait ce qui s’appelle dans le métier le « day use », le cinq-à-sept, quoi. Le rendez-vous galant en journée. La chambre qui était louée le soir pour une nuit ou plus, pouvait être louée en journée pour la « bagatelle ». C’est une pratique très courante, à Paris notamment. Y a même un site qui joue le rôle d’intermédiaire entre les hôteliers et les clients. Un jour, un client se présente et je manque tomber de ma chaise. Il y a environ 1800 hôtels à Paris. Et je tombe sur un ami qui vient rejoindre une jolie blonde. Il ignorait que je bossais dans cet hôtel. Bref. L’heure tourne. Je l’avais discrètement prévenu de l’heure à laquelle il fallait rendre la chambre. Eh bien il a fallu que je décroche le téléphone et l’appelle et lui dise « Je suis navré de vous déranger. Je vous rappelle qu’il est 16h. Etc. » Et lui : « Je me douche et je descends. »
Quelles évolutions perçois-tu dans le métier d’hôtelier et plus globalement dans ton secteur d’activité ?
Internet a été une vraie révolution. Aujourd’hui, en plus de veiller à la bonne marche de son établissement, l’hôtelier doit jongler avec les outils numériques, le référencement, les réseaux sociaux, Tripadvisor, la stratégie tarifaire qui évolue tout le temps. Le prix d’une chambre peut passer du simple au triple selon la période, c’est ce qu’on appelle le Yield. Désormais on vend des chambres d’hôtel comme on vend des billets de train ou d’avion.
Comment réagis-tu face aux inquiétudes de tes clients par rapport à l’actualité ?
J’étais à la réception quand quelques rues plus loin les fourgons de police défilaient, sirènes hurlantes, boulevard Sébastopol, en direction de République. J’ignorais alors ce qui se déroulait. On a commencé par rassurer les clients qui étaient scotchés aux infos, par leur dire qu’il y avait un commissariat tout proche ; les soirs suivants, nous avions parfois deux vigiles. On a connu une énorme baisse d’activité. Des annulations à la pelle. Et souvent, malgré tout, des touristes du monde entier qui disaient « la vie continue, on est là, on veut profiter de Paris. »
Peux-tu nous décrire une journée type ?
Je vais essayer de ne pas être trop technique. Tout dépend du créneau horaire que tu couvres, en fait. Pour schématiser, le matin, tu as les départs. Les clients paient leurs notes, ou pas. La clientèle affaire a souvent son séjour déjà pris en charge : par sa société ou une agence. Il faut préparer les arrivées avec toutes les requêtes que cela comporte (grand lit, deux lits, lit bébé, côté cour ou côté rue). Ça a l’air de rien mais c’est souvent un casse-tête pour satisfaire toutes les demandes. Les départs et les arrivées se croisent, se mélangent… Sinon, ça ne serait pas drôle. Il faut coordonner les services. Service technique, gouvernantes, équipiers etc. Il y a les no-shows à traiter (les réservations non-honorées), faut-il facturer des frais ou pas. Les mails, les appels, les demandes diverses et variées en conciergerie, les réservations en direct, les urgences, les réservataires qui souhaitent une réponse maintenant et tout de suite, le wifi qui ne fonctionne pas correctement, le coffre-fort que les clients ne savent pas utiliser, le client qui ne veut pas de la chambre que tu lui as attribuée. L’avantage d’une petite structure (un peu moins de 200 chambres) comme celle qui m’emploie c’est la polyvalence. Tu ne t’ennuies jamais. Je suis principalement en réception mais aussi dans les bureaux quand je suis chargé de la facturation d’un groupe ou que je réponds à des enquêtes de satisfaction ou encore quand je vérifie toutes les réservations tombées la veille (chaque agence en ligne ou société a un tarif spécifique négocié ; si elles sont sur les extranets mais pas dans le logiciel maison, il faut les saisir manuellement ; s’il y a une anomalie, il faut remonter l’information aux services concernés ; débiter les cartes des clients pour les réservations non-annulables non-remboursables ; etc.) Le travail administratif est énorme. Et très pesant.
Es-tu satisfait de la façon dont tu concilies ta vie perso et ta vie pro ?
Assez, oui. Depuis mes débuts dans l’hôtellerie, j’ai toujours mis un point d’honneur à ne pas mélanger vie pro et vie perso. C’est une vision très personnelle. Un choix. Et puis, je sais raccrocher mon tablier en fin de journée. Ce qui n’a pas été toujours le cas. Tu sais, tu peux vite dévaler la pente savonneuse du surmenage sans t’en rendre compte, quel que soit ton domaine professionnel, d’ailleurs.
Comment te vois-tu d’ici quelques années ?
Aucune idée. Dans un autre métier, un autre domaine peut-être. J’aime l’idée de liberté, de choix, d’opportunités nouvelles qui se présentent, de défis à relever, d’autres gens à rencontrer.
Peux-tu nous dire un mot de tes autres activités ?
Mes amis, ma famille, mon mec. Ma petite vie de Parisien. Aller au théâtre, au cinéma, m’attabler à une terrasse et observer la vie qui défile, ouvrir les yeux et cueillir des histoires pour mon blog.
Quel rôle joue les réseaux sociaux dans ton quotidien ?
Je ne nierai pas que je suis accro. C’est d’ailleurs là que tu m’as trouvé ! Sur Twitter, pour évoquer l’outil que je préfère, je m’informe, je satisfais ma curiosité : les comptes auxquels je suis abonné sont de tous âges, toutes confessions politiques (sauf FN ou Manif-pour-tous évidemment), tous horizons, toutes préférences sexuelles. Sur Twitter, j’ai rencontré des gens formidables. Vraiment. J’y ai trouvé du boulot, aussi. Et mon mec. Avec près de 64 000 tweets depuis mars 2009, on peut dire que je suis bavard. Je tweete tout et n’importe quoi. Dans l’époque sombre que nous vivons, relayer un peu de légèreté, un peu de merveilleux, c’est indispensable. C’est la « ligne éditoriale » que j’ai adoptée pour mon blog : ne raconter que le beau, le merveilleux, le joyeux. Et ce dans les choses, les instants les plus minuscules du quotidien.
Photo de © Paul Rousteau