Nouveau témoignage autour de la conciliation vie personnelle / vie professionnelle avec Marie-Laure, mariée, 2 enfants, expatriée en Malaisie, après avoir vécu un an au Québec et plusieurs années à Brest.
Peux-tu retracer ton parcours pro et perso en quelques lignes ?
J’ai commencé ma carrière dans un grand groupe bancaire à la Défense avec pour mission d’élaborer une nouvelle offre à destination des « impatriés ». L’objectif était de fournir aux salariés étrangers un accompagnement bancaire personnalisé. C’etait un travail passionnant car j’ai monté l’offre, rencontré les RH des sociétés pour mettre en place les partenariats avec les chargés d’affaires Entreprise et tout ça dans un environnement international. Je travaillais en totale autonomie avec une directrice de groupe qui était innovante, visionnaire et humainement chaleureuse. Un vrai bonheur.
Les choses se sont « gâtées » avec mon mariage – que je ne regrette aucunement ;-). J’ai demandé une mutation à Rennes puis à Bordeaux et là le cadre de travail était beaucoup plus conventionnel. Je travaillais en gestion de patrimoine et je me suis retrouvée dans un climat un peu délétère où les horaires de travail comptent plus que l’efficience, où le copinage règne en maître. Bref, cela restait plaisant car j’aimais l’accompagnement patrimonial de mes clients dans leurs différents projets de vie mais rien qui m’exalte le matin en me levant. Suite à un troisième déménagement à Brest, j’ai décidé de faire un break en congé parental et là, au début, j’ai ressenti un grand vide. Etant toujours habituée à travailler, je ne trouvais pas du tout ma place dans le rôle magnifique mais ingrat de mère : personne pour vous féliciter d’avoir signé un beau contrat par exemple! On se rend compte qu’une carrière c’est beaucoup une recherche de reconnaissance sociale mais je l’avais atteinte et je cherchais autre chose. En revanche, trouver une passion, c’est un peu plus compliqué, introuvable au rayon frais d’une grande enseigne dixit une amie !
Ce qui m’a sauvée (sinon je serais retournée à la banque), c’est de rejoindre une association Ell’à Brest dont l’objet était de favoriser l’intégration sociale et professionnelle des femmes cadres et la promotion de l’égalité professionnelle. En fait l’association venait de se créer avec un beau concept, une belle soirée de lancement mais tout était à faire. Je me suis investie dans ce projet et ai été présidente de l’association les deux premières années. J »ai trouvé passionnant de fédérer des personnes enthousiastes pour donner de la visibilité à l’association, de monter des événements en lien avec l’égalité professionnelle et l’entreprise. Cela a été surtout l’occasion de mieux me connaitre, d’expérimenter ce qui m’enthousiasmait vraiment et donc découvrir mes « talents ». J’y ai fait de très belles rencontres. Cela a été le tournant dans ma reconversion professionnelle puisque au fur et a mesure de mon implication dans l’association et de sa reconnaissance, j’ai été amenée à intervenir sur les sujets de l’égalité professionnelle et de l’entrepreneuriat au féminin dans différentes structures. Afin de professionnaliser ma démarche (la fameuse quête de perfection féminine), j’ai suivi une formation en ingénierie pédagogique et accompagnement de projets professionnels. Aujourd’hui, de par mon expérience, j’ai pu monter des formations pour un public d’entrepreneurs, à destination de personnes immigrées au Québec, et actuellement en Malaisie sur l’accompagnement du conjoint accompagnant de l’expatrié. Je suis particulièrement intéressée par la gestion de la transition professionnelle dans le changement qu’il soit géographique ou autre. J’interviens également comme conférencière. Bref, les opportunités se créent au fur et à mesure des rencontres.
As-tu le sentiment d’avoir fait des concessions soit dans la sphère pro soit dans la sphère perso/familiale au cours de ton parcours ? Si oui, les regrettes-tu ?
Non pas de concession sur ma vie privée. Lorsque j’ai repris le travail après la naissance de ma fille, ma règle était apres 18 heures, tu poses ta souris. Effectivement je ne passais pas une heure au café le matin, ni n’entrais dans de grandes complaintes sur ce qui n’allait pas dans la boite, ce qu’il fallait changer ou pas. Et je ne l’ai jamais justifié malgré des « tu pars déjà ». Si j’avais un travail à finaliser, je l’amenais à la maison mais c’était rare.
Je n’ai pas fait de concession à proprement parler professionnellement parce que clairement, ce n’était pas une priorité et tout avait été simple : je n’ai pas galéré pour trouver un job bien payé. A 30 ans la reconnaissance sociale d’être cadre et d’avoir un bon salaire, c’était coché mais sans que pour autant, je me sente accomplie et épanouie professionnellement.
Tu as vécu deux expatriations, dont une en cours. Est-ce que les pays où tu as vécu (ou où tu vis) favorisent, à ton avis, une meilleure conciliation entre vie pro et vie perso ? Comment as-tu vécu ces deux déménagements par rapport à ta carrière ?
Effectivement je suis toujours sur la route. Comme je n’ai plus du tout un profil de salariée, les enjeux sont assez différents car je ne raisonne pas en terme de carrière car comme disait Sénèque « c’est une grande servitude qu’une grande carrière ». Et je ne suis plus du tout dans un cheminement de promotion et reconnaissance sociale mais plutôt dans un parcours où je souhaite m’accomplir en tant que professionnelle, femme et mère. Dans la « Big picture » de ma vie, mes objectifs sont d’affiner mon expertise en termes de gestion du changement, d’accompagnements de projets, de travailler en collaboration avec des indépendants passionnés comme moi, d’accorder du temps à mes enfants qui ont 8 et 10 ans et de continuer a construire un couple solide. Le plus difficile a été de quitter Brest étonnamment car cela démarrait bien pour moi à ce moment là : je commençais à avoir un bon réseau (très important le réseau), des sollicitations d’entreprises et d’associations pour intervenir. Ce fut difficile de quitter tout cela mais finalement, la découverte et l’absence de routine sont des moteurs dans ma vie.
En tout cas, deux expatriations favorisent une ouverture d’esprit et la capacité à aborder les problématiques différemment et c’est passionnant.
Que représente pour toi ton métier et plus largement ta vie professionnelle ? Quelles valeurs associes-tu à ton travail ? Cela a-t-il évolué au fil des années ?
Ma vie professionnelle est essentielle. J’ai besoin de faire travailler mes neurones sous peine de dépérir (d’ailleurs comme salariée je me sentais sous employée en la matière). C’est aussi l’occasion de rencontrer des personnes qui partagent des intérêts communs, des expertises complémentaires. Bref, ma vie professionnelle est passionnante. Quant aux valeurs liées au travail : ce sont celles de persévérance, d’accomplissement et de sens. Ma vision a vraiment évolué puisque pendant une certaine période c’était un moyen de « gagner ma vie » agréablement. Aujourd’hui, c’est donner du sens à ma vie, je l’inscris dans un projet à long terme et global.
Le fait d’être une femme, a-t-il été plutôt un atout, plutôt un handicap ou ni l’un ni l’autre durant ton parcours pro ?
Le fait d’être une femme n’a jamais été un problème. En revanche, je me suis pris une claque en devenant mère, d’autant plus difficile que je n’y étais pas préparée. Toutes les jeunes filles devraient être formées sur le sujet car c’est terrible de se sentir coupable de devenir mère vis à vis d’une entreprise qui somme toute vous considère comme un agent économique ni plus ni moins. En réalité tant que l’on poursuit des études, que l’on entame sa vie professionnelle, rien ne vous indique que vous pouvez être victime d’une discrimination d’autant plus difficile à dénoncer qu’elle est insidieuse. Je pense que beaucoup de femmes se mettent en retrait car après beaucoup d’investissement professionnel, le simple fait de faire des enfants vous discrédite, vous disqualifie et c’est décourageant.
Sur quels points aimerais-tu que les mentalités évoluent ? A ton avis, vers quoi les entreprises devraient-elles tendre pour favoriser un meilleur équilibre pro/perso ?
Avec le recul et en ayant vécu dans des pays aussi différents que le Québec et l’Asie, il me semble que le principal effort à réaliser est de changer de « mindset ». Le système français est dans une démarche uniquement fondée sur l’adaptation à des normes pré établies, à une reconnaissance sociale à atteindre (le français/ maths à l’école, les bonnes écoles types, les bons jobs). Jamais on ne parle des talents, des motivations et du « désir » de l’individu. Je trouve cela absolument désolant. Pour les entreprises, ce n’est pas simple car il faut gérer tout l’aspect 35 heures plus le code du travail. Difficile pour les RH de faire un vrai job humainement parlant quand vous avec des piles de dossiers administratifs à gérer. Et puis les démarches sont de faire de nouvelles chartes mais des petits geste très axés « quotidien » ce n’est pas assez cérébral pour nous les Français.
Réformons l’école déjà et nous aurons une autre entreprise (moins individualiste, plus basée sur la collaboration, laissant la place à la créativité et partant du principe que chacun fait du mieux qu’il peut, positive quoi !)
La conciliation vie pro / vie perso, est-ce un sujet dont vous parlez avec ton conjoint ? Et si oui, est-ce que cela donnait parfois lieu à des désaccords ?
La conciliation est un non sujet aujourd’hui. J’ai un mari qui une semaine sur deux va à Paris, Shangaï ou Danemark. Voilà, c’est comme ça. Mais demain j’ai un rendez vous professionnel important, je trouve un baby sitter. Si j’ai une soirée travail, je le préviens et il s’arrange pour rentrer plus tôt. Entre nos aspirations (qui sont illimitées dans tous les domaines de la vie) et nos moyens en temps, possibilités, financiers (qui sont fatalement limités), on gère au mieux et surtout on discute quand vraiment ça ne va plus 😉
Par rapport à l’éducation de tes enfants, sur quels points est particulièrement attentive/vigilante ? Quels principes te guident dans cette conciliation travail/enfants ? Quels sont les sujets sur lesquels tu ressens le plus de tensions/frustrations ?
Il est important qu’ils voient une mère active, engagée dans une vie professionnelle même si clairement je suis la plus disponible des deux parents. Mes principes sont de leur communiquer le goût de l’effort, de la persévérance et que si cela sert une motivation personnelle, c’est un vrai bonheur. J’essaie d’être enthousiaste, de les valoriser dans ce qu’ils savent faire, dans leurs dons. Et puis je mise beaucoup sur le respect de soi même et des autres.
Les principales tensions viennent principalement du fait que mon mari et moi ne partageons pas forcément le même avis sur la façon de procéder mais on a les mêmes objectifs … donc on discute (oui encore)
De quoi es-tu la plus fière ? Dirais-tu que tu es plutôt satisfaite ou pas de la façon dont tu concilies actuellement vie pro/ vie perso/vie familiale ?
Je suis satisfaite de me sentir satisfaite. Je ne me dresse pas des couronnes de laurier. Ma vie professionnelle prendra plus de place d’un point de vue investissement temps d’ici quelques années mais aujourd’hui ce sont mes enfants qui prennent de la place en terme de temps. Et le choses s’inverseront dans moins de 10 ans. Voila maintenant en terme d’engagement, les trois me prennent beaucoup d’énergie. Mais comme disent mes amis québécois, « c’est pas si pire ».
Comment te projettes-tu d’ici 5 ans ? As-tu des projets ou envies particulières?
Je ne me projette pas. J’ai arrêté de faire ça. Pour moi cela signifie une vraie perte d’énergie. Le présent me suffit largement.
Et pour finir, un conseil ou une devise ou une règle de vie ?
Pas de conseil car l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte mais une devise : « aide toi le ciel t’aidera ».