Il y a quelques années, lorsque j’ai découvert les blogs en 2007-2008, j’ai repéré avec plaisir la plume d’Aude grâce à son blog Nectar du Net. Nous avions alors échangé quelques mails. En 2011, Aude annonçait qu’elle préférait arrêter son blog pour se consacrer à l’écriture d’un roman. Je l’ai retrouvée il y a quelques mois sur Twitter et j’ai alors appris que son premier roman allait être publié en avril chez Stock ! J’étais très fière pour elle et impatiente de retrouver ses mots ! C’est pour cela que le jour de sa sortie, j’ai acheté son roman ‘Les arbres voyagent la nuit » et l’ai dévoré le soir même (et un petit bout de la nuit !). Comme vous le savez, je ne suis pas très douée pour les critiques littéraires mais ce fut un beau moment de lecture. Un roman poétique sur l’absence, la séparation, la vieillesse mais aussi une rencontre émouvante entre une petite fille et un vieil homme autour du Petit Prince, un voyage imprévu et doux-amer à travers la France et l’Espagne vers le Maroc et des personnes qui apprennent à se découvrir et à se respecter. Un roman où l’on sent l’amour d’Aude pour les mots et les livres. Les arbres voyagent la nuit est un roman attachant qui traite de sujets à la fois intimes et universels avec pudeur et sensibilité. Une belle entrée dans le monde des écrivains ! Bravo !
Si je ne suis pas critique littéraire, en revanche, je suis curieuse (et accessoirement journaliste !). J’ai donc demandé à Aude si elle voulait bien répondre à quelques questions. Elle a gentiment accepté. Je vous laisse découvrir ses réponses et vous invite ensuite à lire son roman !
Il y a quelques années, je t’ai connue blogueuse ; aujourd’hui, je te retrouve romancière ! Comment s’est déroulé ce cheminement, cette évolution ? Y-a-t-il eu un déclic/un moment particulier ?
J’écris depuis l’enfance, j’ai toujours adoré ça, autant jouer avec les mots et les sonorités qu’inventer des histoires. Elles étaient souvent abracadabrantes quand j’étais plus jeune. Je lisais de tout.
Le prix ELLE (pour mes chroniques de blog) et certains encouragements m’ont donné confiance, j’ai alors tenté l’aventure (assez longue) du roman. Pour le commencer, il m’a fallu m’éloigner de tout. N’être qu’avec moi, en moi, écrire est un voyage intérieur, on a besoin de tranquillité.
Savais-tu que c’était cette histoire que tu voulais raconter et que tu portais en toi depuis longtemps ou hésitais-tu entre plusieurs histoires ?
Je ne savais rien. J’étais d’abord partie sur autre chose. Puis il y a eu des rencontres marquantes (une vieille dame dans mon quartier, Martine au choix de vie atypique qui m’a inspiré Sophie), mes propres questions existentielles, des rêves enfouis, des souvenirs, la nature et les chats qui m’apaisent, l’enfant encore en moi, qui m’ont permis de créer un univers et des personnages. L’imagination a fait le reste. J’aime les voyages, ces pays je les ai traversés, j’avais encore les sensations, images et odeurs en tête. Enfin, j’ai repris à 30 ans des études de psychologie, l’autre m’intéresse, j’aime sonder les fragilités et l’âme des êtres qui me touchent.
Lorsque tu t’es lancée dans l’écriture de ton roman, avais-tu en tête tout le plan, tout le déroulé de ton histoire ou a-t-elle évolué au fil de la rédaction ?
J’ai jusqu’au dernier moment hésité entre deux fins très différentes. J’ai mis sur le papier les caractères des personnages, un peu de leur histoire, leurs travers, leurs doutes, puis je me suis lancée. Parfois au début d’un chapitre je ne savais pas comment il allait se terminer dans les jours qui suivaient. Mais je vivais les rencontres, les rebondissements avec mes personnages, il m’est arrivé de pleurer ou rire avec eux en écrivant.
Parle-nous un peu des personnages. Comment leur as-tu donné de la « chair » ? Y en a-t-il un dont tu te sentes plus proche et l’un d’entre d’eux t’a-t-il donné plus de difficultés ?
Pour Anatole, qui est pourtant bien plus âgé que moi, cela a été facile car je me pose pas mal de questions sur le sens de la vie et la mort. J’aime parler aux petits vieux, je discutais en tricotant avec ma grand-mère quand j’étais petite. En plus, à force d’écrire et lire chez moi toute la journée, avec mon plaid l’hiver, mon chocolat, mes tisanes et mon chat, j’ai déjà un petit côté mamie. Je suis un peu hypocondriaque comme Anatole.
Pour Manon c’était facile aussi, j’étais une enfant qui pensait et lisait beaucoup, j’adorais Roald Dahl, j’aime encore aujourd’hui la fantaisie et l’imaginaire débridé, les situations cocasses, les mots et questions d’enfant (d’ailleurs j’en ai trois et les écouter m’amuse). Manon est un mélange de tout cela.
Pour Sophie, si je n’avais pas rencontré Martine qui m’a accordé sa confiance, je n’aurais pas pris le risque de créer ce personnage. On ne peut pas tout inventer, et je ne voulais pas raconter n’importe quoi sur le sujet. Elle illustre la différence et le regard des autres sur cette différence.
Pour le couple séparé, le mari par exemple a une personnalité très différente du mien, il a ce caractère breton que l’on retrouve chez les hommes de ma famille.
Dans ton roman, tu réunis plusieurs générations et des personnes qui a priori n’ont forcément pas grand-chose en commun mais qui petit à petit s’apprivoisent, se découvrent, s’apprécient et se respectent. Est-ce que ce sont des sujets qui te touchent particulièrement?
Oui, les belles rencontres, les amitiés sincères et qui durent ont beaucoup d’importance pour moi. C’est ce qui m’aide à tenir depuis l’enfance dans les moments difficiles. J’ai du mal à entretenir des rapports superficiels, quand j’aime les gens, c’est pour longtemps, il y a de vrais échanges, du soutien, de l’empathie, on se prend tels qu’on est. Même si le temps et la famille nous éloignent, je n’oublie jamais les gens qui ont compté. Leur bienveillance me touche.
As-tu fait des recherches particulières pour ce roman ?
Oui, sur la vieillesse, le personnage atypique de Sophie (Martine dont l’histoire est similaire m’a expliqué son parcours, ses difficultés), certains lieux. J’ai aussi relu des romans que je voulais évoquer, Le Petit Prince bien entendu et en relatant le voyage, j’avais une carte routière dépliée sur le parquet, près de moi ! J’ai ressorti de vieilles photos et j’ai été en Andalousie pendant l’écriture de ce roman.
Concrètement, comment as-tu fait pour être publiée chez Stock ? As-tu envoyé ton manuscrit chez différents éditeurs ?
J’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs éditeurs, sans bien connaître ce milieu, j’ai reçu des lettres de refus types, des conseils (plus rares !), un bel encouragement, et l’appel de Stock, l’été dernier.
Comment s’est passé la relation entre ton éditrice et toi avant l’impression de ton roman ? Qu’est-ce que cette période t’a apporté en terme d’écriture ?
Je précise d’abord que mon éditrice a véritablement été touchée par mon roman, sa manière d’en parler était belle, elle était attachée aux personnages, parlait d’Anatole comme d’un grand-père qu’elle aimerait avoir, de l’humour et de la poésie qui lui avaient plu, c’est rassurant que dans ce milieu parfois décrit comme sans scrupules ou intéressé il y ait des personnes sensibles, qui marchent au coup de cœur, acceptent un premier roman d’une inconnue.
Mon éditrice m’a donné de bons conseils, j’ai un peu allégé mon roman, supprimé des répétitions. J’ai pu proposer des illustrations et on a flashé sur celle du bandeau, j’ai conservé mon titre, je ne me suis pas du tout sentie dépossédée, je ne peux donc dire que du bien de Stock.
Quand et comment écris-tu ? Est-ce quelque chose de facile ou de plutôt « laborieux » ou « douloureux » pour toi ?
Je n’ai pas tous les jours l’énergie et l’inspiration, mais je peux avoir des phases où j’écris beaucoup en très peu de temps. Je manque de ce précieux temps, malheureusement. Quand je suis dedans, je retrouve la petite Aude qui dévorait des livres à la chaîne sous sa couette, par tous les temps, j’oublie mon environnement, le temps et le monde, je m’évade dans cet univers parallèle que je crée, avec mes personnages.
Comment as-tu trouvé ce titre si poétique ?
Manon se raccroche à ses chats et son bouleau au début du roman, à ses rituels, pour compenser l’absence de la mère. Elle aurait aimé que son arbre l’accompagne pendant le voyage. Son imagination fait le reste. C’est aussi une métaphore de ce qui voyage en nous, notre face cachée, nos fragilités, nos secrets, ce qu’on refoule.
Que type de lectrice es-tu ?
J’ai énormément lu de 5 à 20 ans, puis avec le travail et les enfants, j’ai dû baisser la cadence. Je n’ai plus envie de perdre du temps, un roman doit rester un plaisir, une détente, je ne finis pas un livre qui ne provoque rien en moi.
As-tu des auteurs français et/ou étrangers que tu suis aveuglement (ou presque ) ? Relis-tu des classiques ou es-tu plutôt littérature contemporaine ? Penses-tu avoir été influencée par certains livres ou auteurs ?
J’ai adoré lire plus jeune Zweig, Zola, Flaubert, Kundera, Gide, Maupassant, Troyat, Jane Austen, Henry James, Albert Cohen.
C’est un peu triste mais aujourd’hui j’ai du mal à retrouver ces plaisirs de lecture. On n’écrit plus aussi bien qu’à l’époque de ces auteurs fabuleux. Les personnages, le style, l’histoire, les métaphores, tout était beau et fascinant.
J’aime Jean-Paul Dubois (surtout son dernier, le cas Sneijder), Ian McEwan (Solaire), Anny Duperey (que d’émotions), Scholastique Mukasonga (La femme aux pieds nus), Capucine Ruat, Paul Auster (à lire, Chronique d’hiver qui vient de sortir), Blandine Le Callet (La ballade de Lila K), John Irving, Eric Reinhardt, Fatou Diome (Celles qui attendent), Emmanuel Carrère, Houellebecq (sauf son Goncourt que je n’ai pas fini !), Véronique Olmi et d’autres que j’oublie.
Quels sont tes projets ? As-tu commencé la rédaction d’un prochain roman ?
Oui un roman jeunesse, très inventif, terminé, et un autre pour adultes, j’ai juste posé les bases pour le moment.
Et parce que je suis incorrigible, je ne peux pas ne pas te poser cette dernière question : es-tu satisfaite de la façon dont tu concilies ton activité d’écriture et ta vie perso et familiale ?
Je suis un peu frustrée. J’aurais besoin de me consacrer totalement à mon roman plusieurs jours de suite, sans être tributaire des rythmes scolaires, des mercredis, des WE et de la maison. Dans l’idéal, si un jour j’en ai les moyens, j’aimerais investir dans un petit nid et y passer une semaine ou deux par mois où je vivrais à mon rythme, et ne pourrais penser qu’à mes personnages et mon intrigue sans regarder l’heure, faire les courses pour les enfants, anticiper leur dîner, organiser une sortie, inviter leurs copains… Je serais bien plus prolifique. J’adore mes enfants, je les ai attendus, désirés longtemps, mais j’ai aussi besoin d’écrire et de créer, d’avoir du temps rien que pour cela, et pas juste entre l’Intermarché et la sortie de l’école !
Parfois, ils me reprochent d’être dans la lune ou trop sur mon ordinateur.
Pas évident de trouver un juste milieu.
Merci pour cette séance de questions / réponses.
Par contre j’aimerais savoir si l’écriture est ton métier (occupation à temps plein), ou si c’est une activité à côté d’une profession ?
Merci et à bientôt !
Centrino
Cette interview est très intéressante ! Je me pose la même question que « Centrino ». Bonne continuation 🙂
Submarine
Interview très intéressante. Je connais un peu Aude et je suis vraiment contente de ce qui lui arrive, je trouve ça tellement encourageant. Je n’écris pas de romans (mais des articles) et je travaille chez moi. je me retrouve comme elle dans la difficulté de tout concilier et de devoir travailler vite avant la sortie de l’école…
Karin
Merci Gaëlle pour cet entretien et coucou à ceux qui passent par ici.
Je me consacre à l’écriture, et à mes enfants, je ne pense pas avoir l’énergie pour un métier en plus ! Mais certains écrivains y arrivent.
Aude Le Corff
Merci Gaelle pour ta réponse !
C’est vrai que si tu en as la possibilité, tu as raison d’en profiter 🙂
Centrino