J’ai été invitée au Women’s Forum 2012 par la Fondation Cartier pour suivre notamment le déroulement des Cartier Women’s Initiative Awards. Ce prix récompense des femmes qui dirigent des entreprises innovantes, financièrement viables et dont l’impact social est important. Quelques semaines auparavant, j’avais rencontré Cécile Réal et Michelle Boisdron-Celle, les deux femmes françaises finalistes (parmi 18 finalistes, 3 par grandes régions du monde). Le 11 octobre, à Deauville, lors d’une cérémonie à la fois solennelle et émouvante, Cécile Réal a été nommée lauréate pour la région Europe. C’est la première française à recevoir ce prix depuis sa création en 2007 ! Michelle Boisdron-Celle a également reçu un Special Award. J’ai eu envie d’interviewer (par téléphone) Cécile Réal, 38 ans, sur son parcours et son projet entrepreneurial. Un grand bravo à elle !
Quels souvenirs et impressions gardez-vous du Women’s Forum et de la cérémonie des Cartier Women’s Initiative Awards ?
Ce fut une semaine exceptionnelle ! Les rencontres et les partages avec les autres finalistes, malgré les différences de pays, de métiers, d’environnements, furent très enrichissants et fructueux. Cela m’a amené à me « confronter » à d’autres points de vue, à réfléchir différemment. J’ai également découvert Cartier, une très belle entreprise, et son soutien aux femmes qui entreprennent est une initiative très intéressante. La dimension mondiale de ce prix apporte une grande richesse.
J’avais déjà eu l’occasion de présenter mon projet d’entreprise devant différents jury mais le plus souvent en présence d’auditeurs scientifiques. C’était la première fois qu’il me fallait convaincre un jury avec des profils plus variés, en vulgarisant davantage nos produits et en valorisant l’impact social.
Cette semaine s’est remarquablement terminée avec l’Award que j’ai reçu. C’est l’aboutissement d’un processus qui a débuté en mars dernier et une belle reconnaissance du travail accompli par toute l’équipe d’Endodiag. Ce prix est également une formidable opportunité de parler de l’endométriose et de sensibiliser la communauté médicale et le grand public à une meilleure prise en charge de cette maladie trop méconnue.
Enfin, cette récompense s’accompagne d’un soutien financier, d’un coaching personnalisé pendant 1 an et nous ouvre l’accès à un réseau de grande qualité.
Avec Endodiag, vous n’en êtes pas à votre premier coup d’essai, puisque dès 25 ans, vous fondiez votre première entreprise…
De formation ingénieur biomédical, j’ai commencé à travailler pour Cogéma (devenue Areva depuis) au sein d’un département médical qui fabriquait des implants orthopédiques avec des matériaux innovants (issus de la recherche nucléaire). Quand la Cogéma a souhaité vendre cette activité, j’ai proposé de la racheter avec 2 ingénieurs. C’est ainsi que j’ai créé en 1999 Bioprofile qui a connu le développement « classique » d’un start-up avec 2 levées de fonds successives en 2001 et 2003, la construction d’une unité de production, la commercialisation de nos produits dans une vingtaine de pays, etc. Nous avons ensuite été rachetés en 2007 par un groupe international. J’ai suivi l’intégration pendant 10 mois puis je suis partie. Pendant 3 ans, j’ai ensuite conseillé des starts-up dans le domaine de la santé. Je ne souhaitais pas tout de suite me lancer dans un autre projet car l’expérience Bioprofile avait été riche mais intense. J’avais également envie de voir d’autres manières de fonctionner.
En 2009, je suis partie à la recherche d’un nouveau projet entrepreneurial. J’ai rencontré deux scientifiques (Jean Bouquet de Jolinière, chirurgien gynéco-obstétricien et Jean Gogusev, anatomo- pathologiste) qui étudiaient l’endométriose depuis une vingtaine d’années. Je me suis rendue compte qu’il s’agissait d’une maladie gynécologique répandue mais peu connue. Cette maladie d’origine encore inconnue se caractérise par la migration de cellules de l’endomètre hors de l’utérus où elles prolifèrent et provoquent des kystes ou lésions pathologiques. Elle se traduit par des douleurs chroniques, des saignements et de l’infertilité (dans 30 à 40% des cas). A l’heure actuelle, il n’existe pas de traitement efficace et peu de moyens y sont consacrés, pourtant le coût financier et sociétal est énorme (une étude récente évalue son coût global à 49,6 milliards de dollars par an pour le seul territoire américain).
Nous avons donc décidé de fonder Endodiag à 4, les 2 personnes scientifiques dont je parlais plus haut, Patrick Henri, spécialiste du marketing et du business development et moi-même en tant que dirigeante. Dès le départ, cela a très bien marché entre nous. Les rôles ont été clairement définis et nous sommes très complémentaires. D’ailleurs, j’admire toujours ceux et celles qui se lancent seuls car en période de doutes et de crise, c’est utile d’être plusieurs !
Actuellement, nous sommes 4 salariés à temps complet et 3 à temps partiel. Depuis le départ, nous sommes incubés dans le Génopôle d’Evry, cluster dédié à la recherche en génétique et aux biotechnologies appliquées à la santé et à l’environnement. Cela nous permet d’être accompagnés par l’équipe du Génopôle, de rencontrer d’autres entrepreneurs, et de partager des équipements.
Quelles sont les activités d’Endodiag ?
Actuellement, il est très difficile de diagnostiquer l’endométriose. Cela passe par un geste chirurgical invasif, sous anesthésie générale, forcément lourd et coûteux. Conséquence : c’est une maladie qu’on met en moyenne neuf ans à diagnostiquer, durée pendant laquelle elle continue à se développer.
Nous sommes en phase de validation d’un produit qui vise à améliorer le diagnostic de cette maladie et ainsi la qualité de vie des femmes atteintes. Nous avons développé des outils chirurgicaux qui facilitent le prélèvement des tissus lésés et qui permettent d’obtenir le plus d’informations possibles notamment sur le « score » d’agressivité de la maladie, et donc une meilleure prise en charge thérapeutique. Nous sommes sur le point d’obtenir le marquage CE (Conformité européenne) ce qui nous permettra dans un second temps d’obtenir le remboursement de ce dispositif médical.
Nous sommes également en train de développer un kit de diagnostic par prise de sang et non plus par geste chirurgical, ce qui changera considérablement la prise en charge et le dépistage de cette maladie. Toutefois, il faudra attendre plusieurs années avant la mise au point industrielle et la commercialisation de ce produit.
Enfin, nous sommes en train de constituer une banque de tissus, une « biobanque » pour permettre à l’industrie pharmaceutique de tester directement leurs médicaments sur les tissus des patientes atteintes.
Pour financer notre recherche & développement, nous avons levé 750 000 euros auprès d’investisseurs privés et nous avons touché 200 000 euros d’OSEO.
Vous avez remercié votre équipe lors de la cérémonie de remise des prix. Quel type de manager pensez-vous être ? Quels sont les aspects que vous appréciez dans la direction et ceux que vous aimez moins ?
Je pense qu’il y a besoin d’un leader, qui décide, qui tranche et en qui l’équipe a confiance. Après, je pense être transparente dans ma façon de manager. Je cherche des personnes autonomes, sans être autonomistes et passionnées, avec qui je peux partager les enjeux et les challenges.
J’aime « vendre » mon entreprise, convaincre les investisseurs, les financiers, les partenaires, les futurs salariés du bien-fondé du projet.
En revanche, j’aime un peu moins gérer le quotidien, l’administratif et la comptabilité. Mais depuis ma première expérience d’entrepreneuriat où je voulais tout contrôler, j’ai appris à faire confiance et à m’entourer des compétences que je n’ai pas forcément.
On débat beaucoup actuellement autour de l’entrepreneuriat et des starts-up. Qu’en pensez-vous ?
Lors de ma première création d’entreprise, il y a un moment où j’ai dû partir aux USA pour trouver des financements privés. Je regrette qu’en France, cela soit si difficile de trouver des solutions de financements au moment où on a besoin de relais pour assurer l’essor et le développement commercial de son entreprise. C’est frustrant !
Aujourd’hui, je suis restée en France car il existe des projets de très bonne qualité et un bon environnement pour l’innovation (à travers le statut JEI – Jeune Entreprise Innovante – ou encore le crédit impôt recherche). En revanche, les entrepreneurs souffrent pas mal car les règles changent tout le temps (dispositifs fiscaux autour de l’investissement, de l’impôt recherche, etc.). D’autre part, on se sent de moins en moins aimé. Je regrette la mauvaise image de l’entrepreneuriat en France ; l’étiquette accolée aux « patrons » ne correspond pas à la très grande majorité d’entre nous. Cela n’aide pas à changer les choses.
Or, il est important de rappeler que près de 75% des emplois sont créés par les PME. C’est donc vers elles que les efforts et l’attention devraient être portés. Il faut bien comprendre qu’à un moment, pour franchir un cap de croissance, une entreprise a besoin de s’allier, d’investisseurs, cela devrait être compris et intégré dans la politique de développement économique.
Avez-vous eu l’impression que le fait d’être une femme a été plutôt un handicap, un atout ou bien l’un ni l’autre dans votre parcours entrepreneurial ?
Je trouve qu’il y a eu beaucoup de changements entre ma première expérience et aujourd’hui. Il y a encore moins de 10 ans, j’avais l’impression qu’il fallait beaucoup démontrer, « sur-performer » en quelque sorte pour être prise au sérieux. J’étais souvent la seule femme lors des réunions et des conseils d’administration. Cela est beaucoup moins vrai aujourd’hui. Tant mieux !
Je pense que les hommes et les femmes ont une façon un peu différente de manager, chacune avec ses avantages et ses inconvénients. J’ai l’impression que les femmes portent une attention plus grande à l’équipe, à la prise en compte des sensibilités différentes, cela rend le fonctionnement plus fluide. Nous sommes également plus pragmatiques et plus structurées. En revanche, un peu moins « malignes » sur d’autres points, les négociations par exemple.
Comment articulez-vous votre vie professionnelle et personnelle ?
Je trouve essentiel de garder des moments « off ». Je pense avoir gagné en maturité et être plus vigilante qu’avant sur ces questions là. J’essaye d’alterner périodes de travail très intenses et vraies vacances. Je n’hésite plus à prendre 3 semaines de suite. C’est important pour recharger ses batteries et prendre du recul sur son activité.
D’autre part, j’ai la chance d’avoir un conjoint qui comprend mes impératifs professionnels et qui me soutient dans mon projet entrepreneurial.
Quels conseils pourriez-vous donner aux femmes qui hésitent à se lancer ou qui débutent dans leur projet de création d’entreprise ?
Si vous avez envie de le faire, il faut y aller. Le plus dur est de prendre la décision. Une fois que c’est parti, comme on a toutes un minimum d’orgueil, on avance, on trouve les moyens de s’en sortir !
Avoir confiance en soi, même si cela est très personnel. Regarder comment cela fonctionne ailleurs et ensuite, expérimenter ses propres solutions et avoir confiance dans sa façon de faire.
S’entourer de personnes avec qui on partage quelques valeurs fortes.
Côtoyer d’autres entrepreneurs, ne pas rester isolée. De nombreux réseaux existent, sachez les intégrer !
2 thoughts on “Cécile Réal, PDG d’Endodiag et lauréate des Cartier Awards”